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Photographie prise sur la rue Saint-Denis à Montréal en 2018.

Réflexion sur la photographie de rue 

 Depuis l’invention de Niepce en 1829, les photographes ont investi l’espace public. Près de 200 ans plus tard, la photographie de rue reste toujours très actuelle. La rue se réinvente sans cesse. L’architecture, la mode et les technologies changent. Nous assistons régulièrement à l’apparition de nouveaux codes sociaux dans l’espace public. Cette photo de la jeune femme utilisant un téléphone intelligent et arborant plusieurs tatouages illustre mon propos. Cette image aurait été impossible à réaliser il y a à peine quelques années.

Le photographe Robert Doisneau avait bien raison lorsqu’il disait, en parlant de la rue, qu’elle est “un théâtre où l’on paie sa place avec du temps perdu”. Cette phrase m’a fait réaliser, d’une part, cette idée de spectacle permanent qu’elle nous offre et d’autre part, le nombre incalculable de kilomètres parcourus et de journées passées à flâner à l’affût de ce fameux instant décisif “Cartier-Bresson”

Photographier l’imprévisible vie urbaine qui défile sans cesse et sur laquelle aucun contrôle n’est possible n’est pas une mince tâche. Il faut savoir déclencher son appareil photo au bon moment afin de créer une image qui, idéalement, sera teintée d’une signature tout en composant avec les hasards et les imprévus. J’aime que mes images racontent une histoire ou qu’elles puissent en suggérer une. Chacune d’elles doit se suffire à elle-même et ne pas dépendre d’autres images pour exister. À partir de ces prémisses, j’ai choisi de porter un regard subjectif et souvent amusé sur mes contemporains dans le théâtre de la rue.

De nouvelles réalités se sont infiltrées, petit à petit, dans le paysage photographique actuel. L’arrivée du numérique et des téléphones intelligents favorisant la démocratisation et la diffusion des images sur les réseaux sociaux et les sites internet ont totalement changé la donne. La circulation de photographies a explosé dans le monde créant une certaine banalisation de l’image. Les années où seulement quelques dizaines de photographes arpentaient les rues des grandes villes à la recherche d’images urbaines sont révolues. De plus, avec l’intelligence artificielle, une nouvelle menace plane à l’horizon. Déjà de nombreuses fausses photographies circulent à travers les médias. L’utilisation du film argentique permet d’ailleurs de contrecarrer cette tendance en permettant d’identifier une image de façon formelle. L’autre défi de taille est celui du droit à l’image qui pourrait menacer ou à tout le moins entraver la diffusion de la photographie de rue dans plusieurs pays. En 1998, j’ai été condamné en Cour Suprême du Canada à cause d’une image prise sur la rue à Montréal. Il importe donc que les photographes et les responsables culturels défendent solidairement le droit de photographier dans les lieux publics. J’ai réalisé un documentaire qui traite de ce sujet, en 2005. La rue zone interdite À voir dans la section films.

Je fais de la photographie de rue depuis le début des années 70. Sachant qu’elle est souvent affaire de discrétion, j’ai décidé à l’époque d’utiliser un des plus petits appareils manuels sur le marché, le Rollei 35s. Tout simple, celui-ci est muni d’une excellente lentille 40mm f/3.5 rétractable, d’une roulette pour régler la vitesse et une autre pour l’obturateur. La vitesse d’exécution étant un atout très important dans la prise de vue, j’ai fait le choix du cadrage vertical afin de gagner un temps précieux dans la manipulation de l’appareil. Finalement, afin d’éviter un effet trop granulé mes tirages, mon choix s’est porté sur le film noir et blanc de 125 asa.

Encore aujourd’hui, je travaille avec le même appareil, le même film ce qui donne à mes photographies un petit air de famille malgré le temps et l’espace qui les séparent les unes des autres.

Gilbert Duclos, Montréal, 2023

 
 

Reflection on Street Photography 

Since Niepce’s invention in 1829, photographers have been invested in public areas. Nearly 200 years have passed and street photography remains as current as ever. Architecture, fashion and technology evolve and therefore, so do the streets. We never cease to witness new social codes in public spaces. The photography of an young tattooed woman on her smartphone is the perfect example of this evolution in action.  

The photographer Robert Doisneau was absolutely correct when he said that the street is “a theatre where your ticket is paid by biding one’s time”. This made me realize that, in part, the street is a permanent show to offer for everyone. The countless distance walked, the days spent wasting time, are what keep us poised to witness decisive moments.

Photographing the unpredictability of urban life as it passes before us, is something we have no control over and it is no simple task. It is crucial to seize the moment, to decide when to pull the trigger, just at the right moment and create an image that, ideally, reflects your signature style while retaining risk and unpredictability as the composition. I like images that tell a story or that suggest one. Each photograph must tell its own tale and not depend on other images to be understood. With this as my premise, I bear subjective witness on my contemporaries and allow myself to be entertained by the theatre of the streets. New realities are explored, slowly but surely, using the present as my photographic landscape. The arrival of digital technology and smartphones has encouraged the democratization and dissemination of images over the Internet and over social networks, has changed the game. The constant flow of photographs has exploded to such an extent that it has trivialized the image. The days when there were only a few hundred photographers haunting the streets of major cities are now gone. Another thorny issue is the question of “who owns the right to the image” which is putting the art of street photography at risk in many countries, including my own. In 1988, I was convicted at the Supreme Court of Canada. (Célèbre inconnue, Montreal 1987)

It is essential that photographers and cultural heads band together to defend the rights of photographers in public spaces. In 2005, I made a documentary film called “La rue zone interdite, The Street Off Limit” which addressed this issue. See in the movie section.

In addition to that, artificial intelligence is a new threat hanging on the horizon. Already many fake photographs are circulating around the social media… And the use of silver film also makes it possible to counteract this trend by making it possible to identify an image in a formal way.

I have been a street photographer since the early 1970s. I fully understand that discretion is vital, so I decided to use one of the smallest manual cameras available—the Rollei 35s. Simple and efficient, it comes with a retractable 40mm f/3.5 lens, no viewfinder and one roller wheel to adjust the speed and another for the shutter. Operating speed is a major asset for this model and I opted for vertical housing to save precious time when handling the camera. To avoid a granular effect on the image, I chose to use 125 asa film.

I still use the same camera to this day and I take the same approach to my photographs to preserve my signature style despite the time and places that separate them.

Gilbert Duclos,
Montreal, 2023